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jeudi 18 avril 2013

La fiancée américaine - Éric Dupont

J’ai aimé ce roman feuillu et touffu. Dès les premières lignes, la force du conteur agit sur le lecteur qui s’ouvre comme l’enfant à qui l’on raconte une histoire, prêt à tout voir et à tout croire. On suit des yeux les soubresauts d’une histoire qui amplifie personnages et événements. Jamais je n’ai lu autant d’histoires dans une. Ce roman vaut trois tomes, que les dents gourmandes se le tiennent pour dit. Il en devient difficile à résumer, encore plus pour les commentatrices qui peinent à condenser !

L’auteur nous fait vivre des liens familiaux complexes, les émotions qui s’y rattachent sont rouges foncées : jalousie, passion, violence, rivalité, favoritisme, sexualité, inceste, avortement. L’histoire nous promène entre des extrêmes : de la guerre à la paix, de la richesse à la pauvreté, de la religiosité à l’athéisme, de l’érudition à l’ignorance, de la campagne à la ville, de la force musculaire à celle de l’esprit. Ces contrastes sont portés par des personnages typés, vous n’en trouverez pas de banals. Les liens entre les événements et les personnages ne sont pas tout de suite évidents, mais le deviennent. C’est le lent travail d’un tisserand où l’on voit les fils se rejoindre en retournant le tissu à l’envers.  

Un des premiers personnages, Louis « le cheval » Lamontagne, de son sens inné de conteur marquera tout ce qui vient après lui. Même si les types de narration varieront, l’énergie « conteuse » de l’auteur ne se tarira pas. La magie du tout se peut et tout se tient perdure. On croira à tout, même aux mères qui meurent deux fois, même aux hommes qui tirent les autobus, même aux succès financiers planétaires. 

À ceux qui s’attachent férocement à un personnage, le choc de la séparation est à prévoir. C’est un ballet de personnages qui se transmettent le vedettariat d’un à l’autre. Comme dans la vie, le temps s’écoulant, une personne en remplace une autre. À peine le temps qu’on se secoue, le magicien conteur nous embarque dans un autre présent. Pour la plupart, ils se rejoindront dans l’épiphanie de la fin.

Les parcours tumultueux sont intelligemment semés de traces qui laissent des empreintes : Un tableau représentant une scène liturgique, l’opéra Tosca, une tâche de naissance, un pendentif avec une croix. Il y a un sens précis et peu banal à chacun, unifiant les ficelles de l’histoire.

J’ai été particulièrement captivé par l’histoire de l’Allemande, Magdelena Berg (Madeleine Lamontagne), le personnage est truculent à souhait. Dans cette partie, j’ai apprécié l’angle peu exploité en littérature qui fait voir les Allemands en victime durant la deuxième guerre.  

Je me suis adonné à une analyse de texte, du genre psychologie à quatre sous.  J’ai remarqué qu’Éric Dupont fait silence sur la sexualité des couples légitimes, et se reprend avec force détails pour les couples hors normes. J’en ai conclu que l’auteur est inspiré par les extrêmes, le banal quotidien, il en a cure. 

Son style ? Bavard, ludique, excessif, ingénieux, rythmé, fluide.

Tant de points positifs fait oublier certaines longueurs. Par exemple, j’ai eu maille à partir avec les premières lettres d’un des fils de Madeleine, celui vivant en Allemagne. La coupure avec le rythme était évidente mais quand son frère a commencé à lui répliquer, mon ardeur à la lecture est revenue.

D’oser une saga à la manière conté, d’une seule traite, c’est audacieux. Cette fois, il n’y aucun doute, l’audace paie. « La fiancée Américaine » n’a pas fini d’être lu et de recevoir des prix.


24 commentaires:

Grominou a dit...

J'avais très hâte de connaître ton avis, et suis ravie de constater que nos impressions se rejoignent en tout point, y compris ce petit passage à vide au début de la partie épistolaire!

anne des ocreries a dit...

Je suis très tentée, là. ça donne envie de le lire.

Le Papou a dit...

Mon billet fut moins dithyrambique. Je je suis d'accord avec toi,ce livre en valait trois. Après avoir adoré la première partie, le roman épistolaire qui suit m'a laissé plus froid. La fin et les péripéties allemandes m'ont de nouveau plu.
Un beau quand même,
Le Papou

Le Papou a dit...

Manque un mot hein ?
roman

Le Papou

Unknown a dit...

Alléchée! Et impatiente...:-)

Julie GravelR a dit...

Bah. Moi, les grandes sagas, ça ne m'emballe pas au départ. Mais tant de gens font l'éloge de ce roman (dont toi ici) et il s'est mérité le Prix littéraire des Collégiens, ça pique la curiosité.
Bref, ce sont plusieurs facteurs auxquels je suis sensible. Mais il n'est pas sur le dessus de ma pile!

Venise a dit...

Grominou : Alors, toi aussi, tu as été déstabilisée par l'arrivée des lettres ? Surtout sans de réponse du frère au départ, et venant d'une personnage tout nouveau. C'était audacieux. Le talent y est, le feu de notre intérêt renaitra de ses cendres !

Venise a dit...

Anne : Sors ta grosse dent, et ta loupe peut-être, tu en as pour des heures de plaisir. Tu le liras un jour.

Venise a dit...

Le Papou : Oui, j'avais lu ton commentaire aussitôt le roman lu (ça fait presque un mois que je l'ai terminé).

Il m'est pourtant arrivé parfois de me demander (durant la partie épistolaire entre autres) pourquoi tant d'engouement pour ce roman. Pour l'ensemble de l'oeuvre, je dirais. C'est un tour de force. Je lis beaucoup et c'est rare un roman avec autant de contenu. Il y a là fougue du conteur, un style marqué par son fond et par sa forme.

Venise a dit...

Danielle : Ça y est, tu as une figure maintenant ?

Tu l'auras entre tes mains incessamment.

Venise a dit...

Julie : C'est un bonheur de lecture, pour paraphraser monsieur Foglia. Ça ne se boude pas.

J'ai toujours une légère appréhension devant les sagas. Et puis, hop, j'ai oublié la saga. Y a-t-il un autre mot pour parler d'un siècle de Madeleine ? ;-)

Tu vas être encore plus intriguée puisqu'il va gagner le Prix des libraires (si c'est pas le cas, je devrais avaler ma langue, ça fait plusieurs fois que je me compromets).

gaétan a dit...

J'avais hâte de lire ton appréciation sur ce livre. On se rejoint tellement sur le style de "conteur", la baisse d'intérêt au début de la correspondance entre les frères et que les sagas ne sont pas mon genre préféré de lecture qyue j'ai rien à rajouter. Sauf peut-être que durant la partie "Cheval Lamontagne" j'ai pensé très fort au film des "Aventures du baron de Munchassen" que j'avais adoré pour sa capacité à m'amener à retrouver ma naiveté d'enfant devant les récits des plus grands...

Grominou a dit...

En fait, plus que le style épistolaire, c'est le brusque changement de ton qui m'a déstabilisée. On était dans un genre de conte, frôlant le réalisme magique à la Gabriel Garcia Marquez, et soudainement ce n'était plus ça du tout, on était dans un réalisme assez cru... Je dirais que ça m'a pris au moins une cinquantaine de page pour raccrocher!

Karine:) a dit...

Celui-là, je veux absolument le lire! Peut-être pour la prochaine édition de Québec en septembre!

Ginette a dit...

Moi, j'ai commencé et renoncé.

Venise a dit...

Grominou : C'est bien de le préciser car à la longue j'ai pris plaisir à ces lettres. Mais au début, c'est exigeant pour le lecteur, j'étais même un peu frustrée !

Venise a dit...

Ce que Karine:) veut, Karine aura ! Comme c'est un défi en soi de trouver le temps de lire des briques, bonne idée d'attendre le défi de septembre.

Venise a dit...

Ginette : Il serait intéressant d'entendre pourquoi.

Unknown a dit...

J'Avais hâte de te lire sur ce qui sera selon moi, le livre de l'année au QUébec. Tu résumes bien, j'aime particulièrement ton deuxième et troisième paragraphe parce que tu en dis beaucoup, sans rien laisser sortir. Moi aussi j'ai bien aimé cette Magdelena, surtout l'histoire de son petit copain chanteur. ce récit m'a fait penser à la voleuse de livre Roman magnifique dont le seul défaut est de ne pas être québécois. Un concept que j'ai beaucoup aimé est donc celui qui vole des livres à ces maîtresse. Idée fabuleuse de penser à quelqu'un en lisant ses livres. Bravo pour ce billet, bien intéressant!

ClaudeL a dit...

Je suis en train de le lire. La partie épistolaire, moi j'adore. J'aime bien qu'un auteur ose la narration sans trop de dialogues ou sans trop appliquer sans cesse cette règle qui ne vient je ne sais d'où: " montrer plutôt que dire".
Il est vrai que c'est difficile de suivre tous les personnages, le temps d'en cerner un, l'autre arrive.
En tout cas, ça ne se lit pas en une soirée ni même trois jours.

Venise a dit...

Tristan Arsenul Merci... très en retard, pour tes encouragements. On s'est pas trompé, hein, puisqu'il a gagné ses épaulettes avec le Prix de l'Association des libraires. J'espère qu'il ira loin en se déposant dans maintes et maintes mains !

Venise a dit...

ClaudeL : T'es bien fine de venir nous rendre compte de ta lecture. Tu ne seras pas déçu, si tu aimes même la correspondance. J'en profite pour rajouter que ce n'est qu'au début que j'ai été dérangée dans mon rythme, je m'y suis vite fait. En fait, j'adore lire et écrire de la correspondance, il n'y avait pas de raison que je n'embarque pas.

Bonne fin de lecture !

Lou de Libellus a dit...

Merci pour cette très belle chronique.
Tu seras citée, sur Libellus, le 27 septembre.

Venise a dit...

Merci beaucoup Lou de Libellus. Ton commentaire m'a poussée à relire ma critique et, du coup, m'a ramenée à de bons souvenirs de lecture.